Discipline : la conduite de l’enquête administrative préalable

L’enquête préalable à l’ouverture d’une procédure disciplinaire est une mesure administrative qui n’apparait pas dans les textes cadres, du droit disciplinaire de la fonction publique.

Elle n’en est pas moins consacrée par la jurisprudence administrative (Conseil d’Etat, Ville de Chartres du 15 novembre 1995, n° requête 123137 ou Tribunal Administratif de Bordeaux du 12 février 2018 n° requête 1600640).

L’enquête administrative préalable : son principe

En fonction des trois principes fondamentaux déjà détaillés (manquement / faute / gravité), une enquête administrative va être menée. Ses résultats vont vous permettre de savoir si une procédure disciplinaire doit être conduite.

Rattachée au pouvoir général de contrôle et d’investigation de l’autorité territoriale sur le fonctionnement de ses services, l’enquête ne peut être confiée au tout venant. Il apparaît préférable, même si aucune règle n’y oblige, à missionner un fonctionnaire ou un agent en position hiérarchique suffisamment affirmée pour assumer ce rôle, et surtout exempt d’implication dans la manifestation des premiers éléments de l’affaire.

On prendra soin, prudemment, de ne pas la nommer enquête disciplinaire car elle précède le déclenchement de la procédure disciplinaire.

L’enquête va permettre d’éclaircir et pourquoi pas établir : les faits ou situations, les actes, les paroles reprochés, la qualification disciplinaire possible liée à ces situations.

L’enquête doit être impartiale dans sa méthode, mais aussi par celui ou celle qui la mène. L’enquêteur ou enquêtrice doit être dénué d’animosité personnelle particulière ou de différends connus dans ses relations avec l’agent mis en cause.

Il est capital que le recueil des éléments par questionnements et témoignages ne soient pas biaisés ou menés à charge, par la mise à l’écart d’éléments favorables à l’agent. L’audition des personnes doit se faire à charge et à décharge, et une expression non contrainte ou orientée des points de vue doit pouvoir être prise en compte dans l’enquête. (Tribunal Administratif de Bordeaux, du 12 février 2018 n° requête 1600640). Le respect du principe du contradictoire est ici essentiel, mais distinct des droits de la défense, car l’agent ou les agents ne sont toujours pas à ce stade, poursuivis.

De même les éléments de preuve retenus devront être obtenus de façon loyale, notamment de manière licite.

L’enquête administrative préalable : sa finalité

L’enquête administrative préalable va contribuer à l’établissement des faits, et au contraire aider à écarter les présomptions et les rumeurs, l’expression d’un sentiment, d’une parole que l’on a reçue, rapportée par un tiers, qui lui-même, ne nomme pas sa source.

Démontrer la matérialité des situations, des faits ou comportements reprochés avec un bon degré de détails et de véracité, telle est la mission assignée à notre enquête, puisque, ne l’oublions pas, la charge de la preuve revient à l’employeur (Cour Administrative d’Appel de Nantes du 4 octobre 2002, n° requête 01NT00267).

Les auditions

L’établissement des faits peut être réalisé par des prises d’informations auprès des personnes parties prenantes ou mises en cause (séparément ou collectivement), au moyen d’auditions ou d’entretiens. Ces personnes doivent être identifiées dans la procédure, même si elles n’ont pas de serment à prêter. Elles doivent authentifier par écrit leurs déclarations.

La production de pièces ou documents

Les faits peuvent tout aussi bien ressortir de pièces ou documents, rapports variés (courriers d’explication, états, historiques de situations, mandats, états de caisse…).

Les faits et leur établissement appellent souvent à une présence physique des auteurs présumés à des moments particuliers ou des lieux précis. L’enquête pourra également s’appuyer sur des relevés horaires / pointages, feuilles de congés, formulaires de demandes, feuilles d’émargement, ainsi que la maitrise des identifiants et mots de passe lorsqu’ils sont un préalable à la possibilité d’accomplir certains faits reprochés…).

Les constatations matérielles

L’enquête et son déroulement peuvent conduire à établir des constats sur le terrain. Qu’un bien est constaté manquant ; qu’un véhicule a été déplacé ; qu’un immeuble ou du mobilier a été dégradé. Des prises de vues, des descriptifs, des croquis (selon le talent des participants) ne sont pas incongrus dans le cadre de ce type d’enquête.

Le recours à des tiers extérieurs ayant qualité ou compétence pour éclairer un point est également envisageable (expert dommage véhicule, expert en sécurité informatique…).

L’enquête et sa méthode ont leurs propres nécessités. Elles doivent pour être utiles, non seulement, aider la manifestation des faits, mais également justifier de la rigueur, l’impartialité et de la loyauté avec lesquelles l’enquête est conduite.

La traçabilité des étapes de l’enquête.

Sans être d’un formalisme paralysant, l’enquête et ses principaux moments doivent être consignés par écrit.

Les auditions

Les auditions doivent être datées, les participants identifiés, les questions et les réponses apportées, retranscrites. A ce titre, et afin d’éviter les querelles de mémoires, il est parfois plus efficace de transmettre aux parties prenantes et témoins, une liste de questions à renseigner par écrit et collecter les documents renseignés, pour l’enquête, que de retranscrire dans un PV ou compte rendu, leur audition avec la contrainte de perte de fidélité aux propos et de leur validation par l’auteur, entraînant des récritures incessantes qui dévorent patience et énergie.

Les documents ou pièces

Assez simplement, les pièces doivent figurer au rapport d’enquête, les originaux, si possible, non tronqués, non altérés, de même si des copies sont retenues. Les circonstances dans lesquelles ces pièces ont été obtenues peuvent être précisées. De même si des pièces ont été écartées, car redondantes ou non concluantes.
Les pièces font l’objet d’un bordereau de désignation

Historique des démarches

La succession des démarches ou des initiatives est réglée par l’avancée de l’enquête (ou pas) qui oriente les investigations. Il est utile d’en retracer l’historique, soit par ordre chronologique, soit par nature de démarches. A terme, il est intéressant d’avoir une vue d’ensemble de la conduite de l’enquête, ne serait-ce que pour savoir où elle en est et constater que rien n’a été omis.

Les faits reprochés ont bien sûr nécessité de s’être produits, mais aussi de pouvoir être prouvés par l’employeur (Cour Administrative d’Appel de Marseille du 26 octobre 2018, n° requête 17MA01401).

Traditionnellement, les modes de preuves en droit français, sont généralement dits libres. Il en va ainsi par exemple des aveux de la personne concernée, des écrits, des constatations et des témoignages d’une personne assermentée, ou que la loi a missionné pour établir un rapport (constat d’huissier, rapport d’expert d’automobile, rapport médical d’expert auprès des cours et tribunaux, rapport de médecine médico-légale…).

Les modes de preuve n’ont pas tous la même force probante. Cependant tous peuvent être contredits par une preuve contraire.

Les preuves matérielles sont également importantes : des photographies, des enregistrements vidéos (non altérés) peuvent être versés à l’enquête.

Il est bon de rappeler que les preuves matérielles doivent être conservées dans des conditions qui en préservent l’intégrité et la disponibilité. Exemple : le versement à l’enquête d’un dossier papier mal tenu, ou d’un fichier tableur erroné, devrait être précédé de la constatation par témoins de sa nature erronée ou incomplète et conservé dans des conditions écartant toute contestation sur des modifications ultérieures à son versement.

Comme évoqué plus haut, les preuves doivent être obtenues de manière loyale. On ciblera ici, les éléments de preuve qui seraient obtenus par tromperie ou de manière non licite (intimidation, contrainte, subornation, substance chimique, pentothal, détecteur de mensonge).

L’enquête est menée avec tact et précautions, dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir hiérarchique, lié à une relation de travail, par une autorité administrative. L’employeur ne peut donc tout se permettre.

Il doit notamment veiller à ce que ses démarches n’empiètent pas sur :

  • le respect de l’exercice des libertés individuelles essentielles (respect de la vie privée des agents ; protection du domicile – attention aux mesures liées aux logements de fonctions ; liberté d’aller et venir, protection des correspondances privées ; dans une certaine mesure respect du droit à la propriété…) ;
  • le respect du secret médical, quand celui-ci est opposable.

L’enquête doit également s’astreindre à n’utiliser que des prérogatives rattachables au pouvoir hiérarchique de l’employeur. Toute autre mesure, pourrait être regardée comme une voie de fait, et sanctionnée par le juge judiciaire (pas de fouille des affaires ou des véhicules des agents, pas de confiscation de biens privés…).

L’enquête administrative préalable : ses résultats (discipline, pas discipline ?)

A l’issue de l’enquête administrative, les éléments matérialisés dans le document formalisant l’enquête (rapport d’enquête) doivent permettre, et selon le libre choix de l’autorité territoriale, l’ouverture d’une procédure disciplinaire ou son abandon.

Une procédure disciplinaire est une phase délicate de la gestion de personnel, aussi bien pour la personne poursuivie que pour l’employeur. Une procédure mal établie, renforce sans aucun doute la position de l’agent. Elle instille le doute dans la collectivité sur la légitimité des poursuites.

L’engagement d’une procédure disciplinaire ne doit pas être un élément d’intimidation ou pour faire peur, dans le but d’obtenir un départ de l’agent de la collectivité ou faire évoluer en positif son comportement. Il n’y a donc pas de « négociation » avec l’agent sur l’opportunité d’engager ou pas l’action disciplinaire. Cette action peut toutefois être stoppée à tout moment par l’autorité territoriale, même en cours de procédure.

Le rapport disciplinaire introductif, obligatoire, devra se baser sur les résultats de l’enquête. Il en est la formalisation légale, en droit disciplinaire. Il est communiqué à l’agent qui, à partir de l’ouverture de cette procédure, est légalement poursuivi. Le rapport est aussi la pièce majeure de la saisine du Conseil de Discipline ou de la Commission Consultative Paritaire, en formation disciplinaire.

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